Marshall Mc Luhan nous dit que « les média sont des traducteurs »1. « [...]les technologies sont des moyens de traduire ou de transposer une sorte de connaissance sur un autre mode. »2 Avec les technologies numériques, les média tels que les CD-ROM, Internet, et autres media numériques, ont besoin de traducteurs.
Au contraire d’une sculpture ou d’une peinture, d’une performance ou de toute œuvre artistique mécanique, les œuvres numériques ont besoin d’une technologie de traduction. On pourra répondre que ce n’est pas nouveau, que le film a besoin d’un projecteur par exemple. Mais le film est un film sans le projecteur, le projecteur n’est qu’un moyen mécanique de l’agrandir et de lui donner du mouvement. Sur la bande du film, les images sont déjà réalisées, elles sont visibles, seul le mouvement est encore à l’état de possible et ne sera réalisé que lorsque la bande sera mise en mouvement et en lumière par le projecteur.
Les images, les vidéos, les sons, les textes numériques ne sont rien d’intelligible sans traducteur. Ces documents, œuvres ou informations sont tous codés en binaire. Tous sont traités de la même manière par l’ordinateur. C’est l’ordinateur qui les traduit. Sans l’ordinateur, pas d’image, pas de vidéo, rien qu’un support inerte. Tout étant stocké sous forme de bits sur le support d’enregistrement, il faut que l’ordinateur et son programme déchiffrent ces bits pour les rendre intelligibles d’une part, et pour nous les rendre visibles d’autre part, ainsi l’ordinateur est l’indispensable interface entre les informations qu’il contient et l’utilisateur.
Le média numérique subit une double traduction : premièrement il est traduit de l’utilisateur vers le centre de stockage, deuxièmement, il est retraduit du centre de stockage vers l’ordinateur. L’œuvre numérique dépend donc toujours de l’interface ordinateur pour fonctionner, que l’œuvre numérique soit complexe ou non, c’est par l’intermédiaire de ordinateur qu’elle est crée, et c’est par l’intermédiaire de l’ordinateur qu’elle est affichée.
L’ordinateur est donc un traducteur d’information, mais il est aussi l’interface permettant d’interagir avec ces informations. La notion d’interface est très importante pour ce qui concerne tous les traitements de l’information. C’est grâce à une interface que nous visualisons les pages Web, le Web permet au contraire du simple réseau Internet d’utiliser une interface graphique, les pages Web deviennent elles-mêmes des interfaces entre l’utilisateur et d’autres pages Web qui sont appelées par les liens qu’elles renferment. Cet environnement graphique issu du premier interface graphique du Macintosh puis développé à son tour par Microsoft avec Windows et enfin par les créateurs de Linux, est à l’image des environnements graphiques de ces divers systèmes d’exploitation. L’interface est la « jonction entre deux éléments d’un système informatique ».
Elle est aussi l’habillage de l’information, le moyen de rendre l’information accessible de la mettre en page, de la valoriser, de la déployer dans l’espace de l’écran.
L’interface est aussi le moyen de rendre l’œuvre, sur la page Web ou tout autre contenu numérique, interactif, « A regarder les recherches récentes des artistes du virtuel, on constate en effet une prise en compte de l’interface comme partie intégrante, sinon centrale, de l’œuvre3 ».
L’interface graphique composée de liens comme un document hypertexte présente un aspect plus convivial et plus ludique que du simple texte, il s’impose désormais comme un élément à la fois constituant de l’œuvre et comme une interface entre le spectateur - utilisateur et l’œuvre.
Certaines interfaces, comme the ArtChivist créée par Fabrice Oehl pour le projet de Karen O’Rourke archiving as art, représentent l’archive en donnant accès à des archives. Le but du projet expérimental archiving as art (projet faisant partie du programme de recherche du CNRS « les archives de la création ») doit inciter des artistes à réfléchir sur la question des archives et de l’archivage. Comment définissons-nous ce qui vaut la peine d’être archivé ? Comment le matériel peut-il être consulté ? Comment peut-il être mis à jour ? Comment les éléments fixes et mobiles peuvent-ils être articulés ? Les artistes participants ont été invités à créer des modèles numériques qui peuvent être présentés sur le réseau internet et hors-ligne. The ArtChivist reprend une imagerie classique de bureau recouvert de livres et de documents divers ainsi qu’une bibliothèque en arrière plan. Cette représentation sert d’interface premier entre le spectateur et les oeuvres des artistes participant à ce projet. Dans un premier temps cette interface est le lieu d’accès aux projets des artistes, puis ces projets seront remplacés par les œuvres elles-mêmes.
Philippe Monfouga
1Marshall Mc Luhan, Pour comprendre les média, Mame/Seuil, Paris/Tours, trad. Jean Paré, 1968, chap. 6.
2 Ibid., p.76.
3Jean-Louis Boissier, « Virtuel (arts) » in Universalis sur CD-ROM version 8.