TEXTES DE REFERENCE • UN TEXTE FONDAMENTAL : « ARTICULER LES SAVOIRS » d ‘Edgar MORIN (voir page d’accueil) • EXTRAITS D’OEUVRES DE RÉFÉRENCE Les textes qui suivent sont des « morceaux choisis » par Pierre GONOD à destination des prospectivistes, ces extraits ont été présentés avec leurs implications pour la prospective dans la brochure « Prospective et Complexité : modélisation systémique et modélisation d’anticipation » à l’occasion de la rencontre 1997 à Poitiers du programme Européen Modélisation de la Complexité. Les oeuvres d’origine sont : MORIN Edgar " La méthode, tome I, la nature de la nature" Seuil, 1977 ; tome 2 1980 ; tome 3 1986 ; tome 4 1991 ; "Introduction à la pensée complexe” ESF 1990 ; “Pour sortir du XXe siècle” Nathan, 1981 ; “Science avec conscience” Fayard, 1982 et 1990 ; avec Sami Naîr “Une politique de civilisation” Arléa, 1997 ; “Des opérateurs conceptuels pour la transdisciplinarité” dans Transversales janvierfévrier 1997.
LE MOIGNE J.L. "La théorie du système général, théorie de la modélisation", PUF, 1977. Elle est dans la ligne de pensée d’ H. A. SIMON dans"La science des systèmes, science de l’artificiel" Epi 1974 ; dans la 2ème édition , 1984, se réalise la convergence avec “La Méthode” d’Edgar Morin ;“La modélisation des systèmes complexes” Dunod 1990 ; le dernier ouvrage“Les épistémologies constructivistes” PUF, 1995, relie le systémisme des oeuvres antérieures à l’épistémologie. NICOLESCU Basarab “La transdisciplinarité, manifeste” charte rédigée par Lima de Freita,Edgar Morin et Basarab Nicolescu, Rocher, 1996.
Qu’est-ce qui différencie multi, inter et transdisciplinarité ?
•“La pluridisciplinarité concerne l’étude d’un objet d’une seule et même discipline par plusieurs disciplines à la fois... la démarche pluridisciplinaire déborde les disciplines mais sa finalité reste inscrite dans le cadre de la recherche disciplinaire”. •”L’interdisciplinarité a une ambition différente de celle de la pluridisciplinarité. Elle concerne le transfert des méthodes d’une discipline à l’autre. On peut distinguer trois degrés de l’interdisciplinarité : a) un degré d’application, par exemple les méthodes de la physique nucléaire transférées à la médecine.. ; b) un degré épistémologique, par exemple le transfert de la logique formelle dans l’épistémologie du droit ; c) un degré d’engendrement de nouvelles disciplines, par exemple le transfert des méthodes de la mathématique dans le domaine de la physique a engendré la physique mathématique, de la physique des particules à l’astrophysique... Comme la pluridisciplinarité, l’interdisciplinarité déborde les disciplines mais sa finalité reste aussi inscrite dans la recherche disciplinaire”. •”La transdisciplinarité concerne, comme le préfixe “trans” l’indique, ce qui est à la fois entre les disciplines, à travers les différentes disciplines et au-delà de toute discipline. Sa finalité est la compréhension du monde présent, dont un des impératifs est l’unité de la connaissance”. Dans cette acception, “elle est complémentaire de l’approche disciplinaire ; elle fait émerger de la confrontation des disciplines de nouvelles données qui les articulent entre elles ; et elle nous offre une nouvelle vision de la nature et de la Réalité. La transdisciplinarité ne recherche pas la maîtrise de plusieurs disciplines, mais l’ouverture de toutes les disciplines à ce qui les traverse et les dépasse” (article 3 de la charte, page 219). En bref “un discours multidimensionnel non totalitaire, théorique mais non doctrinal” (Morin 1990, page 67). Finalement “rigueur, ouverture et tolérance sont les caractéristiques fondamentales de l’attitude et de la vision transdisciplinaires. La rigueur dans l’argumentation qui prend en compte toutes les données est le garde-fou à l’égard des dérives possibles. L’ouverture comporte l’acceptation de l’inconnu, de l’inattendu et de l’imprévisible. La tolérance est la reconnaissance du droit aux idées et vérités contraires aux nôtres” (article 14 de la charte). Les différences de finalité n’en font pas moins que “la disciplinarité, la pluridisciplinarité, l’interdisciplinarité et la transdisciplinarité sont les quatre flèches d’un seul et même arc : celui de la connaissance” (Nicolescu, page 69). La transdisciplinarité Il y a trente ans ce mot désignait une phase supérieure de la multi et interdisciplinarité. C’était en quelque sorte l’interdisciplinarité avec un plus organisationnel (voir dans les textes de l’atelier l’étude « sur l’interdisciplinarité »). Mais l’interdisciplinarité, comme au demeurant aujourd’hui la complexité, était plus un mot problème qu’un mot solution. De fait l’interdisciplinarité se heurte à des barrières disciplinaires et institutionnelles imbriquées. On peut donc légitimement se poser la question si la transdisciplinarité, qui englobe les niveaux inférieurs, multi et inter, est plus en demeure de surmonter ces barrières. Le tout et les parties • La sixième avenue est celle du principe de l’hologramme. “L’hologramme est l’image physique dont les qualités de relief, de couleur et de présence tiennent au fait que chacun des points contient presque toute l’information de l’ensemble qu’il représente. Nous avons ce type d’organisation dans nos organismes biologiques. Dans nos sociétés, d’une certaine façon, le tout de la société est présent dans la partie - l’individu - y compris dans les sociétés qui souffrent d’une hyperspécialisation dans le travail... Ce qui veut dire qu’on ne peut plus considérer un système complexe selon l’alternative du “réductionnisme” (qui veut comprendre le tout à partir uniquement des qualités des parties) ou du “holisme”, non moins simplificateur, qui néglige les parties pour comprendre le tout...cela veut dire qu’on abandonne un type d’explication linéaire pour un type d’explication en mouvement, circulaire, où l’on va des parties au tout, du tout aux parties pour essayer de comprendre un phénomène...l’élucidation, par exemple du tout peut se faire à partir d’un point particulier qui concentre en lui, à un moment donné, le drame ou la tragédie du tout”. Le principe hologrammatique se lie à celui d’organisation récursive. “L’organisation récursive est l’organisation dont les effets et les produits sont nécessaires à sa propre causation et à sa propre production. C’est très exactement le problème de l’autoproduction et de l’auto-organisation..ainsi le processus social est une boucle récursive ininterrompue où en quelque sorte les produits sont nécessaires à la production de ce qui les produit” (Science avec conscience pages 168-170) . “La vision simplifiée serait de dire : la partie est dans le tout. La vision complexe dit : non seulement la partie est dans le tout ; le tout est à l’intérieur de la partie qui est à l’intérieur du tout ! Cette complexité est autre chose que la confusion du tout est dans la partie et réciproquement” (Introduction à la pensée complexe, page 117) L’énoncé “on produit des choses et l’on s’auto-produit en même temps ; le producteur lui-même est son propre produit, pose un problème de causalité “. Ce problème peut être envisagé selon trois angles. Le premier est celui de la causalité linéaire : telle cause produit tels effets ; le second est celui de la causalité circulaire rétroactive ; le troisième est la causalité récursive. “Ces trois causalités se retrouvent à tous les niveaux d’organisation complexes” (Introduction à la pensée complexe, page 115). On peut relier aux causalités la question des systèmes à but (comme on l’a lu dans la note 42, Barel inclut la téléologie dans les relations causales). On sait aussi que l’introduction de l’analyse des systèmes à but a apporté une dimension nouvelle à l’analyse systémique. L’hypothèse téléologique est loin de faire l’unanimité, surtout quand elle débouche sur une théorie finaliste de la science et sur le modèle des fins dernières ou divines. J. L Le Moigne fait le point de la question. Il écrit : “en attribuant au sujet connaissant le rôle décisif dans la construction de la connaissance, l’hypothèse phénoménologique oblige en quelque sorte à prendre en compte l’intentionnalité ou la finalité du sujet connaissant...(pour autant) l’hypothèse téléologique ne prétend pas proposer une réponse à la question du processus cognitif de finalisation du sujet cognitif, mais elle postule l’exercice d’un tel système de finalisation potentiellement activable en son sein...mais elle ne dit rien sur les formes d’activité de ce système”. “L’hypothèse téléologique peut se présenter selon les variantes d’un spectre qui irait de la téléonomie faible que considèrent volontiers les biologistes (une seule fin, invariante, et considérée comme exogène au système cognitif lui-même)..à la téléonomie forte que considère volontiers le philosophe et le créateur : de multiples fins, déterminées à chaque instant de façon endogène par le système cognitif luimême”. (pages 77-78) Complexité et simplification • la septième avenue de Morin vers la complexité est celle de la crise des concepts clos et clairs (clôture et clarté étant complémentaires), c’est-à-dire la crise de la clarté et de la séparation dans l’explication. Là effectivement il y a rupture avec la grande idée cartésienne que la clarté et la distinction des idées sont un signe de leur vérité, c’est-à-dire qu’il ne peut y avoir de vérité qui ne puisse s’exprimer de façon claire et nette” (Science avec conscience page 170). Parallèlement en 1977, Edgar Morin dans “La méthode”, et J.-L. Le Moigne dans “La théorie du système général” traitaient de l’ancien discours de la méthode, du cartésianisme, et du nouveau. Depuis ce nouveau discours s’est développé à travers le paradigme de la complexité et le projet transdisciplinaire. J.-L. Le Moigne montrait “la faillite du discours cartésien” (pages 8-19). Cette critique était aussi contenue dans “La méthode” et visait, notamment, les principes 2 et 3 du discours cartésien, ce qui conduisait à mettre en lumière l’opposition simplification et complexité . “Le vrai débat, la véritable alternative sont désormais entre complexité et simplification. Or de même que la simplification constitue un principe fondamental qui fonde la connaissance sur la disjonction et l’opposition entre les concepts primaires d’ordre/désordre, sujet/objet, soi/environnement, de même la complexité constitue un principe fondamental qui associe nucléairement ces concepts primaires en boucle. Or les relations fondamentales d’exclusion et/ou d’association entre concepts primaires, c’est-à-dire les alternatives et associations préliminaires constituent précisément les paradigmes qui contrôlent et orientent tout savoir, toute pensée, et par là toute action (puisque le savoir est transformateur et transformable). C’est au niveau du paradigme que change la vision de la réalité, la réalité de la vision, le visage de l’action, qui change en somme la réalité. Nous découvrons donc que la complexité se situe, non seulement au niveau de l’observation des phénomènes et de l’élaboration de la théorie, mais à celui du principe ou paradigme... La méthode au départ était de l’anti-méthode...elle a pris visage en découvrant et circonscrivant le visage et la profondeur paradigmatique de l’ennemi : la simplification...Le problème est désormais de transformer la découverte de la complexité en méthode de la complexité” (La méthode 1 la nature de la nature”). Plus tard dans “Science et conscience” Morin approfondit cette analyse dans les termes suivants : “La science classique se fondait sur l’idée que la complexité du monde des phénomènes pouvait et devait se résoudre à partir de lois simples et générales. Ainsi la complexité était l’apparence du réel, la simplicité, sa nature même. De fait, c’est un paradigme de simplification, caractérisé à la fois par un principe de généralité, un principe de réduction et un principe de disjonction, qui commandait l’intelligibilité propre à la connaissance scientifique classique. Ce principe s’est avéré d’une extraordinaire fécondité dans le progrès de la physique de la gravitation newtonienne à la relativité einsteinienne, et c’est le “réductionnisme “ biologique qui a permis de concevoir la nature physico-chimique de toute organisation vivante. Mais aujourd’hui, les progrès mêmes de la physique nous font considérer les insurmontables complexités de la particule subatomique, de la réalité cosmique, et les progrès mêmes de la biologie, nous ouvrent des problèmes inséparables d’autonomie et de dépendance qui concernent tout être vivant. Du coup, le développement des connaissances met en crise la scientificité qui avait suscité ce développement”(page 304). Morin dit encore que “c’est très lentement que nous avons pu effectuer une catégorisation (sans doute non définitive) des principes commandant/contrôlant l’intelligibilité scientifique classique, et, par, opposition, un schéma des principes commandant/contrôlant l’intelligibilité complexe”. Ces principes respectifs sont résumés dans un “Paradigme de simplification” et 12 “commandements pour un paradigme de la complexité” (pages 305-308).